mercredi 15 juillet 2009

Réciter sa vie

Je me hasarde ici à une expérience narrative. Soit ce premier récit :
Je suis américaine. J'ai trente-deux ans. J'ai le visage d'une femme normale ; je souris aux inconnus et je remercie poliment lorsqu'on m'ouvre la porte. Pourtant, il m'arrive de boire jusqu'à trois bouteilles de vin par jour quand je me sens vulnérable. Quand me vient l'idée de me balancer du haut de mon balcon. La mort me regarde souvent, droit dans les yeux. Elle m'invite, me tente, me cherche. Ce qu'elle seule peut m'offrir m'attire dangeureusement. « Viens, Christine, viens, grâce à moi, tu oublieras ». Car c'est bien ce que je voudrais, oublier toutes celles qui ont défilé dans ta voiture, dans tes bureaux, dans ces chambres d'hôtel anonymes que tu louais à l'heure. Perdre de vue ces soirées seule, ces téléphones courts et froids. T'oublier toi aussi, Paul. Oublier ce qui fut notre vie.
Maintenant, considérons, en gardant en tête le premier fragment, ce deuxième récit :
J'habite El paso. Je viens de célébrer, avec ma soeur, mon quarantième anniversaire. Je suis divorcé, aujourd'hui. En fait, je n'avais jamais voulu me marier, mais elle était belle et avait... un père italien. Surtout, j'avais 19 ans. Je sors de mon mariage comme d'un guerre, mes plaies se referment, peu à peu. Je vais mieux. J'émerge de ce que je crois être un enfer ridicule, meublé de colères longues et interminables, de discussions inexistantes, de regrets gonglés à bloc. Elle ne faisait que pleurer, répétant qu'elle ne voulait pas que nous nous quittions. Sans emploi, sans amis, qu'aurais-je pu faire ? Je ne l'aurai jamais rendu heureuse.
Qu'est-ce à dire ? Oui, bien sûr, la sacro-sainte question du point de vue, celle de cette mosaique d'opinions divergentes sur un même sujet.
Mais je voudrais en venir à une autre considération, purement narrative. Il faut admettre, en fait, à quel point le récit participe, par sa forme même, à la signification, tant des oeuvres actuelles que des histoires les plus banales. La façon de raconter, de prendre en charge un texte, de livrer une « histoire », est aussi importante que l'histoire en elle-même. La composition textuelle, par les dimensions qu'elle présente, peut grandement influer sur le pouvoir du récit. Celui invoquant des exemples, des faits accomplis (le premier) vous rendra-t-il plus à sensible que celui présentant le ressenti du sujet, n'ayant qu'une crédibilité douteuse (le deuxième) ?
Ceci dit, je me mouille : les mots sont puissants. Peut-être plus que les bombes.

lundi 13 juillet 2009

Obsessions

Elle avait une obsession. Cette chose qui l'aidait à conserver bien vivants, au fond de sa mémoire, ses désirs les plus chers. Celle-là variait selon les jours qui défilaient, les villes au creux desquelles elle se lovait, les jeux auxquels elle s'adonnaient. Elle disait que la vie n'était qu'une question de traumatismes. Que seuls les échos les plus forts marquent. Ce qu'elle aimait, elle le faisait de manière obstinée. Je me plais à croire qu'elle détenait la meilleure recette pour mener à terme ses rêves.